LETTRE OUVERTE COVID-19 FCI
Mes chers Amis vignerons,
Mes chers Confrères,
Nos chers clients,
et à ceux qui dirigent le monde, l'Europe, notre pays, nos régions, nos départements et nos communes, ayez l’humanité et la patience de me lire jusqu’au bout !!!
Mais ce ne devrait pas être trop dur, car ces derniers temps, télétravail et chômage partiel liés au Covid-19 obligent, nous avons plus de temps pour lire et réfléchir…
LETTRE OUVERTE COVID-19 FCI
De l'état de la filière viticole
La lecture de cet article de Terre de Vins sur la souffrance des vignerons de Bourgogne, jusque-là plutôt privilégiés, n’a pas manqué de me faire réagir. En effet, le sang vigneron qui coule dans mes veines depuis 14 générations n’a fait qu’un tour dans mon corps fatigué par les courtes nuits de ces trois dernières semaines !!!
Nous, cavistes, sommes de tout cœur avec les vignerons de France. Et notamment les plus petits d’entre eux qui sont nos partenaires et nos amis de toujours.
Les Vignerons Indépendants de France comme les Cavistes Indépendants de France vivent avec difficulté et désarroi cette période très compliquée. Dont l’issue est incertaine et probablement plus lointaine que d’aucuns voudraient nous le laisser croire.
De l'état du monde
Quand on nous apprend incidemment et tardivement que la Chine subit en fait le Covid-19 depuis septembre 2019 et non pas décembre. Et qu’elle commence seulement à percevoir un semblant de rémission du virus. Cela nous laisse donc songeurs…
Car n’oublions pas que ce pays, sous une apparence désormais très ouverte et libérale, est toujours une dictature. Ce qui implique donc deux paramètres que nos démocraties occidentales ne possèdent pas.
Premièrement le contrôle drastique de la population et de ses mouvements, assorti de sanctions lourdes et immédiates pour les contrevenants, qui permet un confinement total et efficace pour contenir le virus.
Mais aussi, que les pouvoirs publics maîtrisent totalement l’information. Tant en interne vis-à-vis de leur population, qu’en externe vis-à-vis des pays étrangers. N’oublions donc pas que dans notre univers mondialisé à outrance, quand la Chine tousse, le monde éternue.
Nous apprenons à nos dépends que l’on ne peut plus se fournir de masques. En effet, la Chine qui est devenue l’industrie du monde, conserve les dits-masques qu’elle produit pour sa propre population et que nos pays ne sont plus producteurs et qu’il va nous falloir des semaines, voire des mois avant de pouvoir être auto-suffisant.
Soit dit en passant, il faut remercier les derniers industriels français qui ont la force et le courage de reconvertir leur outil de production pour fournir des masques. Je salue tout particulièrement mon ami Dominique Seau, le Président d’Eminence, qui a pris cette décision avec la détermination et la sagesse que nous lui connaissons.
Cela me rappelle les temps lointains de nos première et deuxième guerres mondiales. Dont me parlaient mon père qui avait fait la seconde et mes grands-pères qui avaient fait les deux, où les aciéries européennes se reconvertissaient pour produire des canons.
Cependant, produire des masques pour protéger les soignants et la population est autrement plus noble.
Alors sans vouloir être pessimiste, il faut néanmoins être alarmiste et raison garder avec lucidité. Si je sais bien compter, la Chine est dans cette crise depuis près de 6 mois et l’on annonce officiellement le début d’un confinement partiel.
Si l’on transpose avec la France, l’Europe et le monde occidental et tout particulièrement nos contrées méridionales, teintées d’indiscipline toute latine, il va être bien difficile d’appliquer la même rigueur que la chinoise. Au risque d’en choquer plus d’un et dans ce cas précis, la dictature ça a du bon !!!
De l'état de la micro-économie locale
Après avoir brossé un état non exhaustif de la situation mondiale, il convient donc de revenir à la micro-économie locale. Par exemple les petits vignerons et les petits commerces qui sont les forces vives de la nation. Sachez que beaucoup de nos commerces de proximité... Et là je parle de tous, pas que les cavistes. Quand ils le peuvent, assument leur travail quotidien pour garder leurs boutiques ouvertes contre vents, marées et tempêtes. Ils ont su s’adapter, innover, se remettre en cause et mettre en œuvre très rapidement des solutions de Click & Collect et de livraison.
D’aucuns font la morale aux cavistes pour dire que nous ne sommes pas des commerces essentiels et que nous devrions rester rideaux clos pour nous protéger et ne pas contribuer à la propagation du virus.
Mais tout d’abord le Gouvernement a considéré par Arrêté Ministériel du 15 mars que nos commerces étaient autorisés à rester ouverts. Nous remercions le Ministre de la Santé pour cette confiance qu'il nous accorde. Au même titre que les buralistes et autres métiers de proximité locale qui apportent un service et le lien social indispensable en ce temps de guerre.
De l'état des cavistes ouverts
Ensuite ceux qui ont décidé de rester ouverts l’ont fait dans le plus strict respect des consignes sanitaires. Avec la mise en place des mesures barrières préconisées par le Ministère des Solidarités et de la Santé et nos instances professionnelles que sont le Syndicat des Cavistes Professionnels - SCP et la CGAD.
Certains d’entre nous ont même fermé plusieurs jours avant de ré-ouvrir. Afin d'être sûrs d’avoir la possibilité de mettre en œuvre les mesures barrières en toute sécurité pour eux- mêmes, leur personnel et leurs clients.
Car comment fait-on quand on a fait le tour des dizaines de pharmacies et supermarchés de sa ville. Et que l’on n’a trouvé ni gel hydroalcoolique, ni alcool à 70 degrés, ni masque, ni gants en latex, ni produits sanitaires désinfectants ?
Certes nos boutiques ne manquent pas de produits à teneur en alcool, mais ce serait dommageable de les détourner de leur destination initiale.
Alors ces petits commerçants qui ne comptent pas leur temps, besogneux et responsables, une fois prêts ont ouvert leurs échoppes. Afin non seulement, de rendre service à leurs clients. Mais également pour assumer la continuité de la chaîne de vente circuit court d’un commerce de proximité responsable et solidaire entre les vignerons et le consommateur.
Nous savons bien que beaucoup d’entre vous, les vignerons, avez été lourdement éprouvés ces dernières années par les nombreuses et répétitives catastrophes naturelles. Tels que gel, grêle, inondation, tempête, mildiou, oïdium et autres cochonneries non comestibles et indigestes.
Alors, si nous voulons rester ouverts c’est aussi pour sauver le soldat vigneron. Et effet, il arpente ses vignes toute l’année avec courage et ténacité et sans jamais baisser la garde. Oui je sais bien que le moral n’est pas toujours au beau fixe. Oui je sais bien que les trésoreries parfois exsangues provoquent angoisses et insomnies. Mais soyez-en sûrs ! Je peux vous dire qu'assurément les cavistes qui partagent vos préoccupations ne vous laisseront pas tomber.
De l'état du système bancaire
Maintenant, je voudrais m’adresser aux banquiers. Ces derniers, ces dernières années n’ont pas fait de cadeaux aux entrepreneurs. Vous avez toutes les bonnes raisons du monde pour nous expliquer que c’est le système qui vous l’impose et que vous n’y êtes pour rien. Certes, mais ce dit système pourquoi en est-il arrivé là ? Qui l’a mis en place ? Et dans quel objectif ? Posons-nous les bonnes questions !!! Ne nous voilons pas la face…
N’avez-vous pas oublié que l’argent est juste un moyen d’échange pour faciliter les transactions. Et pas un outil de la spéculation mondialisée. Aujourd’hui, nous vous demandons de ne pas laisser tomber les très petites entités économiques (TPEE) que sont les vignerons et les cavistes indépendants de France. Car ils représentent des centaines de milliers d’emplois. Car si nous tombons, nos salariés tombent et vos établissements bancaires feront faillite. Comme il n’y a pas si longtemps lors de la crise de 2008. Et ce sera l’anarchie ou la révolution. Pour finir par la chute de l’État et de la République. En la matière il n'y a pas d'altruisme gratuit... Mais nous demandons un simple sursaut de bons sens qui ne ferait pas de mal à l'économie.
D’aucuns s’en réjouiront certainement, mais je ne veux pas voir se reproduire les heures les plus sombres de l’histoire de France.
De l'état des troupes
Alors j’ai fait un rêve à la Martin Luther King : sachons reconstruire un monde meilleur.
Mais que personne ne se méprenne sur mes propos dans cette lettre ouverte Covid-19 FCI ! Il ne s’agit ni de protectionnisme nationaliste ou de crainte d’un avenir incertain. Mais plutôt d’un optimisme teinté d’espoir de voir naître un monde différent. Qui sera fait de plus de solidarités et de moins d'individualisme.
J’en veux pour preuve, comme me l’avaient prédit mes amis cavistes italiens. En effet, ils ont quelques longueurs d'avance dans cette crise du Coronavirus Covid-19. Depuis 15 jours je vois naître de nouvelles solidarités entre les gens. Beaucoup font preuve de créativité pour soutenir et remonter le moral des troupes. Il en est ainsi pour l’initiative mise en œuvre par la Fédération que j’ai l’honneur de présider, de lancer CAVE ANTENNE : la chaîne 40N des cavistes indépendants. Pour couper l’isolement du confinement. Et garder le lien social avec nos clients enfermés et parfois seuls. Mais aussi, pour apprendre à mieux se connaître entre confrères.
La France n’est grande que lorsqu’elle sait être unie et forte. Et elle est alors fille aînée des nations et force d’exemple pour tous les peuples du monde.
A vous les consommateurs qui aviez délaissé les petits commerces au profit de surfaces que je ne nommerai pas. Et dont le modèle économique ne fait plus ses preuves. Je voudrais dire la chose suivante.
Je perçois, en parlant avec le primeur de mon quartier, que vous redécouvrez le rôle social de ces petits commerces de proximité. Dont vous aviez même oublié jusqu'à l'existence. S'il vous plaît, je vous en conjure, ne les laissez plus tomber ! Ils sont créateurs d'humanité et d'emplois locaux. Aujourd'hui ils se battent pour rester ouverts et vous rendre service en bravant tous les risques. Décernons-leur la médaille du mérite à la fin de la guerre !
De l'état de l’État
A tous. Et notamment à ceux qui nous dirigent, je voudrais conclure, cette lettre ouverte corona FCI, en disant que cette crise est une chance inouïe de changer le cours de l’histoire. Et ainsi rendre à notre monde son humanité.
Je ne juge pas ce que vous faîtes aujourd'hui. En effet, les décisions décrétées sont les plus difficiles à prendre de notre siècle. Alors prenez les en âme et conscience. Néanmoins, l'état du monde, de l'Europe de nos pays démontre bien que nous arrivons à la fin d'un système qui marche sur la tête.
Je voudrais faire une exhortation à nos hommes politiques quelque soit leur bord et leur pays. Ayez bien conscience que le monde de demain ne sera pas celui d’aujourd’hui. Par la suite, parmi nos concitoyens, certains auront tristement disparu, paix à leur âme. Certains seront tellement atteints qu'il en perdront le goût de la vie. Et certains en sortiront grandis. Par conséquent, il faudra compter sur eux pour reconstruire le monde de demain.
Alors tous ensemble et dans l'unité, retroussons nos manches. Ne pleurons pas sur nos fautes ou celles des autres. De plus, soyons les acteurs responsables de notre destinée.
Adieu
En conclusion, comme on dit chez nous en Languedoc je formule ce vœu : "À l'an que vèn ! Se sian pas mai, que siguen pas mens".
En disant cela je pense à mon ami Jérôme Vidal, Président des vignerons du cru Saint-Georges-d’Orques, en Languedoc Grés de Montpellier. Homme de cœur empreint d’une belle sagesse paysanne. Et un des derniers a encore faire l’usage de notre belle langue occitane, si chère à Frédéric Mistral et son courant félibrige.
En guise d'adieu, je peux vraiment dire "à votre santé" au sens littéral du terme…
Jean GUIZARD
Entrepreneur vigneron caviste
Président de la Fédération des Cavistes Indépendants
LETTRE OUVERTE COVID-19 FCI