Le champagne Billecart-Salmon vole au secours des cavistes indépendants. Et lutte contre les prix cassés pratiqués par la grande distribution sur internet.
Quand le champagne Billecart-Salmon vole au secours des cavistes indépendants. Ou l'histoire d'une maison de Champagne qui gagne une bataille contre les prix cassés pratiqués par le site internet CDiscount au service de la grande distribution. Le jugement de la Cour de Cassation se fonde sur le fait que ces pratiques tarifaires nuisent à l'image de marque de la maison de champagne et à sa diffusion qualitative auprès des consommateurs, par le canal de distribution dit "traditionnel" des cavistes indépendants. Cette décision de justice nous interroge sur plusieurs points.
Les champenois et les cavistes s'aiment sans se le prouver vraiment !
Entre la Champagne et les cavistes indépendants, c'est un peu "je t'aime, moi non plus" !!! En effet, les cavistes ont de tout temps été les meilleurs ambassadeurs des maisons et vignerons du champagne. Pour mettre en avant dans leurs boutiques les grands et petits noms de cette belle région viticole, dans laquelle des vinificateurs de talent élaborent depuis longtemps d'excellents nectars.
Mais, les maisons et vignerons de champagne ne jouent pas toujours le rôle de partenaires confiants que seraient en droit d'attendre les cavistes.
En effet, on constate encore trop souvent des diffusions commerciales hasardeuses qui se targuent de privilégier le secteur traditionnel et démontrent le contraire au quotidien sur le terrain. Donc on regrette toujours des politiques tarifaires qui ne respectent pas souvent les marges des cavistes. Ceux-ci assument toute l'année un excellent travail de proximité. Avec : du personnel compétent, des locaux dans les centres villes avec les charges lourdes inhérentes à l'exercice de leur métier.
Les champenois expliquent souvent aux cavistes qu’ils gagnent suffisamment leur vie avec un coefficient faible. Mais ne s’offusquent pas plus que ça d’un coefficient élevé pratiqué dans un restaurant étoilé. Et pas un caviste ne viendra dire à un vigneron dont les vins se vendent avec succès qu’il gagne trop bien sa vie. Au contraire, il sera content de constater que le vigneron gagne un revenu bien mérité. Sachez qu’un caviste indépendant ne compte pas ses heures. Il est ouvert 6 ou parfois 7 jours sur 7 et même le dimanche. A la fin du mois beaucoup d’entre eux préfèrent payer leurs fournisseurs et collaborateurs. Et parfois certains ne se versent pas de revenus. La plupart se versent un peu mieux qu’un Smic. Et les plus heureux vivent correctement. Mais ils ne deviendront jamais millionnaires en revendant leur affaire à l'âge de la retraite. Mais quel plaisir ils ont de travailler dans ce métier qu’ils exercent avec professionnalisme et passion.
Or quand on aime vraiment, on ne compte pas. Ou pour le moins, si l'on sait compter et chacun, cavistes et champenois savent le faire à n'en pas douter. On doit pouvoir partager les marges équitablement pour que chacun puisse vivre et ainsi pérennise des secteurs d'activités durables et créateurs d'emploi pour la France.
Comment remédier à cette discordance entre champagne et cavistes ?
En effet, pourquoi cette discordance, alors que tout existe pour y parvenir. Une première bataille juridique a été gagnée par la Champagne, mais le combat continue au quotidien dans nos échoppes et nos crayères.
Nous nous réjouissons de cette bataille menée par la Maison de Champagne Billecart-Salmon et nous remercions chaleureusement son président François Roland-Billecart, à la tête de cette belle maison familiale, pour sa ténacité et l’énergie déployée par son équipe et ses juristes dans la défense des cavistes indépendants. Nous savons combien il est difficile de créer une grande image de marque, mais ô combien il est facile aussi de la faire s'écrouler si l'on n'est pas vigilant au quotidien !
Lire le très bon article de Terre de Vins sur ce sujet : ICI
Nous souhaitons que cette décision de justice puisse faire jurisprudence et incite d'autres maisons ou vignerons de renom, dans toutes les régions de production, d'en faire autant pour faire respecter leur image de marque et défendre leurs réseaux de distribution que sont les cavistes indépendants de France !
Le "mea culpa" des cavistes
Les cavistes viennent souvent vers la Fédération pour se plaindre que les maisons et vignerons de renom vendent leurs produits à la grande distribution et aux sites internet qui pratiquent des prix cassés en vue de faire de belles tête d'affiche ou de gondoles et nuisent ainsi à l'image tant du caviste que du vigneron qui passent tous deux pour des voleurs, puisque les prix pratiqués sont de 20 à 50% moins chers que dans des commerces de proximité. En effet, comment ne pas s'offusquer de telles pratiques et en vouloir ensuite aux producteurs qui seront finalement blacklistés durablement du secteur caviste. D'aucuns se sont brulés les ailes et s'en mordent encore les doigts !!!
En ma qualité de jeune caviste de base, un brin candide, mais juriste de formation, j'ai voulu savoir qui étaient donc les gens qui pratiquaient ces politiques de prix cassés et quels étaient leurs intérêts ? J'ai mené mon enquête avec l'aide d'un certain nombre de confrères cavistes et vignerons et si certaines réponses m'ont paru évidentes, d'autres sont totalement délirantes, mais bien réelles.
Qui sont ces distributeurs peu scrupuleux sur les prix ?
La grande distribution :
C'est une évidence chacun le sait. On ne peut pas leur reprocher de casser les prix car c'est depuis toujours leur politique et c'est aussi leur fonds de commerce. Dans mon enfance, un slogan d'une enseigne aujourd'hui disparue (tiens, là aussi certains meurent !) clamait haut et fort "Mamouth écrase les prix" !!! Si la GD a tué et tue encore beaucoup de petits commerces, elle trouve aussi ses limites aujourd'hui. Car à force de casser les prix il n'y a plus de bons producteurs, ni de bons industriels qu'elle a également étranglés. Et à force de réduire le prix au détriment de la qualité, on trompe tout le monde !!! Enfin à force de scandales à répétition dévoilés, notamment par Élise Lucet et son émission choc Cash Investigation... Le consommateur perd confiance dans ce type de commerce et revient à la proximité.
Les sites marchands :
Ils se développent désormais rapidement sur internet et font craindre le pire au caviste indépendant. En effet, pour les plus gros sites, leur seul moyen de croitre en se démarquant est de pratiquer une politique de prix cassés. Mais, le risque de concurrence est plus important pour la grade distribution. Comme on peut le constater aux Etats-Unis avec Amazon qui débarque en Europe à grands renforts de publicité et d'investissement. Comme certains sites sont en passe de tuer la GD, cette dernière contribue aussi à leur création et leur développement. Et duplique stricto-sensu sa politique d'achat et de vente à ce nouveau réseau de distribution.
Le vigneron qui ne savait pas :
Quand on interroge les vignerons beaucoup ne savaient pas ou feignent de ne pas savoir qu'ils sont distribués en GD ou sur internet à prix cassés. La plupart vendent à la GD. Sans imaginer que cela peut causer préjudice aux cavistes indépendants par simple méconnaissance des réseaux de distribution. Il s'agit souvent de vignerons jeunes ou peu expérimentés qui souhaitent écouler leur production et sont contents de trouver un marché facile et de grande ampleur (+ de 60% du marché français) ou qu'ils imaginent comme tel. D'autres plus anciens et réputés sérieux, voient aussi parfois leur confiance abusée par des partenaires de longue date. Certains cèdent aux sirènes de sites aguicheurs qui leur promettent visibilité et notoriété en échange de prix très privilégiés. Ami vigneron si tu veux devenir comme les producteurs de céréales, de lait, ou de bovins, réfléchis à quelle politique est profitable à long terme...
Le marché parallèle ou gris :
Sous ce terme un peu flou mais qui se comprend aisément, on englobe un peu tout ou rien. Les négociants ou grossistes qui achètent aux grandes maisons pour revendre aux CHR ou à l'export. Et parce qu'ils n'arrivent pas à écouler leurs stocks sont bien contents de trouver la GD pour les aider en fin d'année ou pendant les foires aux vins. Mais ils sont difficiles à cerner car il y a parfois, plusieurs intermédiaires entre le producteur et la grande surface. Voire parfois de l'export qui est réimporté (pas très écoresponsable en taxe carbone tout ça !). Un remake viticole du scénario de la viande chevaline et d'une maison bien connue du cassoulet. A la fin plus personne ne sait qui a vendu à qui... Le mieux pour tous c'est le circuit court qui se caractérise par un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur.
Le passe muraille :
C'est une personne qui vient chez un caviste. Il achète un certain nombre de bouteilles en quantité importante, mais pas trop, 12 à 36 bouteilles. Avec que des grands noms, bien souvent paye en espèces ou en carte bleue personnelle. Le caviste non content d'avoir fait une belle vente, avec la remise correspondante, lui a en plus donné force conseils et avis sur ces vins rares. Sans compter que le caviste a lui-même parfois eu du mal à se procurer ces vins en allocation et paiement comptant auprès du producteur. Mais ce que le caviste ignore c'est qu'il est complice sans le savoir de ce client qui agit sur ordre d'un supermarché et dont il est même parfois le salarié. Le supermarché revendra les vins avec pas ou très peu de marge mais pourra se targuer de l'avoir en rayon. Nous avons des preuves même judiciaires de ces méthodes pour le moins étonnantes... A bon entendeur salut !
Le judas de service :
Ici nous atteignons le summum inatteignable, mais bien vécu et réel ! Oui cher confrère candide et ami vigneron fidèle... N'ayons pas peur de le dire ! Même si j'en ai honte, un caviste peut être traitre à sa confrérie et à son vigneron. Peu importe les raisons qui le poussent à le faire : surstocks, difficultés de trésorerie, appât du gain rapide, obtention d'un bon prix du vigneron, accord global pour obtenir la vente d'autres produits, amitié complice, cupidité stupide ou que sais-je encore... Mais ceux qui pratiquent cet art du détournement sont plus nombreux qu'on ne le croit et c'est totalement inadmissible ! Alors, j'invoque un "mea culpa, maxima culpa" au nom de ces confrères indélicats. Mais qui fait un coup n’en boit pas deux, ou alors c’est la tasse !! Mais nom d'une pipe il faut que cesse cette mascarade qui ne rime vraiment à rien et dont personne ne sort gagnant. D'aucuns me disent, que nous ne serions pas une profession isolée et que certains restaurants et même des étoilés pratiquent aussi de la sorte. Alors confrères cavistes et amis restaurateurs, balayons devant notre porte ou celle de notre voisin avant de condamner les producteurs !!!
Le client particulier averti :
Alors là, on touche au Saint Graal ! N'avez-vous jamais reçu un mail d'un ami, ou bien d'une association étudiante ou culturelle qui vous propose du champagne en achat groupé à prix quasi coutant hormis les frais de port. En France, tout le monde s'improvise vendeur de vins. Je n'en veux pas aux particuliers qui agissent ainsi. Ils le font surement de bonne foi, pour faire plaisir à leur entourage et surtout leur portefeuille. Mais est-ce vraiment leur rôle ? Bien souvent, ils ont connu le dit vin grâce à un caviste qui le leur a fait découvrir. Alors amis vignerons, pourquoi lorsque vous recevez des commandes de ce type, ne les redirigez-vous pas vers vos distributeurs habituels que sont les cavistes ? Et vous amis clients, pour une commande conséquente (pas 6 bouteilles s'il vous plait...) le caviste de proximité saura faire la remise convenable qui vous conviendra !!!
Alors nous les cavistes, arrêtons de nous offusquer sur ces pratiques contre lesquelles nous ne pouvons pas lutter. Mais battons-nous plutôt sur ce qui fait notre différence, la convivialité, l'expérience gustative dans nos caves, le conseil et le service aux clients tout en rappelant que chez un caviste les petits prix existent aussi !
Que peut faire la Fédération des Cavistes Indépendants ?
De ce tableau pas très brillant, mais réaliste on peut tirer de nombreux enseignements. Premièrement : ne pas rompre la confiance qui existe entre producteurs et cavistes indépendants. Bon nombre des producteurs ont des pratiques de distribution sélective très élogieuses. Et nouent des partenariats durables avec les cavistes. Et nous les en remercions. Ceci existe dans la plupart des cas et il faut le préserver. Deuxièmement : suggérer des pistes de réflexions ou d'actions que chacun peut mettre en œuvre très simplement à son niveau.
Contre les indélicats
Il faut un lancer un hashtag #balancetonjudas ou plutôt #disluistop. Car l'omerta est clairement de mise dans certains cas. Elle l'est tant du côté des maisons et vignerons que du côté des cavistes. Si l'un d'entre nous fait défaut à la déontologie de sa profession, il ne faut pas pratiquer l'omerta et oser l'affronter en face pour lui dire qu'il nuit à son métier. Le convaincre qu'il est en train de scier la branche sur laquelle il est assis et que son intérêt à court terme est contraire à sa durée de vie.
La traçabilité des bouteilles :
Certains vignerons ont développé avec succès une traçabilité de leurs bouteilles. Avec une numérotation qui leur permet de suivre la vie de leurs produits de leur zone de production, jusqu'au consommateur final. Nous les remercions d'avoir tracé cette route vertueuse. Et nous encourageons tous leur confrères à pratiquer de la sorte pour que cessent ces méthodes inqualifiables !!! Pour ceux dont le coût de cette mesure est trop élevé à mettre en œuvre, préconisez avec vos clients une déontologie responsable et solidaire.
La solidarité entre vignerons et cavistes :
Quand un vigneron a des surstocks sur des vins de qualité qu'il n'arrive pas à vendre, plutôt que de céder à vil prix ses produits sur internet ou dans les grandes surfaces.... Pourquoi ne se rapproche-t-il pas des cavistes pour leur proposer des conditions avantageuses. Voilà une piste sérieuse à creuser. Nous proposons de mettre en œuvre très rapidement. Avec l'aide de personnes de bonne volonté et soucieuses de conserver un équilibre financier profitable pour tous. Le budget que vous avez abandonné à d'autres, si vous nous le donnez, nous promettons d'en faire bon usage !!!
Une charte du vigneron et du caviste :
Notre métier de caviste indépendant est régi à la FCI par une charte qui définit des règles déontologiques à laquelle le caviste s'engage. Nous proposons de réfléchir et mettre en place une charte des relations entre cavistes indépendants et vignerons. Elle aura pour but de définir les bonnes pratiques. La charte s'appliquera dans nos relations quotidiennes pour permettre une pérennité équilibrée pour tous.
Confrères cavistes de France et de Navarre. Amis producteurs vignerons de tous les terroirs. Et clients fidèles de toutes nos régions ! Je vous remercie d'avoir lu cette chronique jusqu'à la fin. Il ne nous reste plus qu'à nous retrousser les manches et construire ensemble le chantier de demain. Pour une relation de confiance gagnant-gagnant ! Pour le plus grand service du consommateur final qu'il ne faut pas tromper ! Et qui ne l'oublions pas est notre client à tous !
Je souhaite que la « jurisprudence Billecart-Salmon » serve d’exemple et fasse des émules !!!
Je vous donne rendez-vous très bientôt. Pour fêter dignement, un verre de champagne à la main, l'aube d'un nouveau jour et l'odyssée de nos nouvelles relations équilibrées et fructueuses...
Jean Guizard - Président de la FCI - Fédération des Cavistes Indépendants
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